➜ Tout commence à la Bastille le 19 novembre 1703. Un prisonnier masqué, sans identité, ni motif d'incarcération, meurt. Il est enterré quelques jours plus tard à l'église Saint-Paul (Paris).

➜ Âgé d'un cinquantaine d'année, l'homme au masque de fer aurait été prisonnier 34 années durant, d'abord dans la forteresse de Pignerol (dans le nord des Alpes), attestée par documents officiels de l’Etat ; puis transféré dans la forteresse de l'Île Sainte-Marguerite, en Provence, jusqu'en 1687.

➜ C'est d'ailleurs en 1687 qu'est faite sa première mention, dans un journal illégal : « Personne ne sait qui il est ; il y a défense de dire son nom et ordre de le tuer s'il l'avait prononcé ; celui-ci était enfermé dans une chaise à porteurs ayant un masque d'acier sur le visage, et tout ce qu'on a pu savoir de Saint-Mars était que ce prisonnier était depuis de longues années à Pignerol, et que les gens, que le public croient mort, ne l'est pas. »

➜ Bénigne Dauvergne de Saint-Mars devient ensuite gouverneur de la prison de la Bastille et emmène avec lui l'homme au masque de fer. Sur le trajet, plusieurs témoins aperçoivent le prisonnier masqué. Une scène, en particulier, frappe les esprits : le geôlier, de Saint-Mars, s'attable avec son prisonnier, placé dos aux spectateurs. Il a son masque et les paysans sont étonnés de le voir déjeuner avec son geôlier, ce dernier ayant deux pistolets pour le tuer au cas où il parlerait. Le lieutenant du roi, Etienne du Junca, enregistre l'arrivée du carrosse à la Bastille : « M. de Saint-Mars, qui était gouverneur des îles de Saint-Honorat et de Sainte-Marguerite, est arrivé ici depuis quelques jours pour prendre possession du gouvernement de la Bastille, dont il a été pourvu par Sa Majesté. »

➜ On peut penser qu'il s'agit d'un haut personnage pour plusieurs raisons. D'une part, Louis XIV aurait choisi Bénigne de Saint-Mars comme geôlier et ce dernier était un gouverneur de prison respecté, responsable, durant sa carrière, de prisonniers de hauts-rangs. D'autre part, il voyage dans un chaise à porteur, généralement réservé à la grande noblesse. En outre, le port d’un masque était une pratique courante pour un prisonnier qui détenait des secrets en lien avec l’Etat.

➜ En réalité, rien ne permet de penser que le prisonnier était constamment masqué. Il semble plus probable qu'il n'a été astreint à porter un masque que pendant les transferts, pour éviter qu'un passant puisse le reconnaître. Des scientifiques ont par ailleurs expliqué qu'il n'a pas pu porter ce masque constamment pour la bonne et simple raison qu'il aurait entraîné des maladies, comme une septicémie (infection pouvant être mortelle à l’époque).

➜ Louis XV est le dernier roi à connaître l'identité du masque de fer. Louis XVI l'ignorait totalement ; son premier ministre, Malesherbes, fit faire des recherches dans les archives de la Bastille pour l'élucider mais il ne trouva rien autre que ce que l'on savait déjà. Napoléon Ier aurait également voulu connaître le secret de l'énigme. Il ordonna des recherches qui restèrent sans résultat.

➜ La théorie la plus connue à l'époque était celle de Voltaire, théorie écrite dans Le Siècle de Louis XIV. Il pensait que l'homme au masque de fer était le frère jumeau du roi Louis XIV. Ce dernier l'aurait alors dissimulé pour éviter toute contestation du trône. En effet, à l'époque, il y avait une controverse sur le fait de savoir quel était l'aîné des deux jumeaux : celui ayant vu le jour en premier ou celui qui, voyant le jour en second, avait, pensait-on, « été conçu » en premier. Si un tel cas s'était présenté, le jumeau régnant aurait eu un grave problème de légitimité. Théorie écartée puisque Voltaire voulait en réalité tourner le masque de fer comme un symbole de l'absolutisme monarchique.

➜ L'écrivain Anatole Loquin pensait que l'homme au masque de fer était Molière. Pour lui, le célèbre dramaturge ne serait pas mort sur scène mais aurait été arrêté, à la demande de jésuites, qui ne lui aurait pas pardonné Le Tartuffe. Son principal argument est que la première biographie de Molière ait été publiée deux ans après la mort du masque de fer (La Vie de M. Molière, 1705, Grimarest). Louis XIV aurait attendu que Molière soit mort pour autorisé la publication d'une biographie sur ce dernier. Théorie écartée puisque Molière est officiellement décédé en 1673.

➜ On pense aussi à cette époque à Nicolas Fouquet, le surintendant des finances de Louis XIV, incarcéré à Pignerol en 1665. Fouquet est officiellement mort en 1680 d'une attaque d'apoplexie mais selon les tenants de cette thèse, cette date serait fausse et le corps d'un codétenu, Dauger, qui servait de valet à Fouquet, aurait été donné pour celui du surintendant. Théorie écartée puisque si le surintendant avait vraiment été mort en 1703, il aurait vécu 88 ans, ce qui est extrêmement rare à cette époque.

➜ L'historien anglais Roger MacDonald écrit dans son livre The Man in the Iron Mask (2005) que le masque de fer pouvait être le mousquetaire D'Artagnan pour deux raisons. Tout d'abord, il a été envoyé à Pignerol en 1673 ; ensuite, le port du masque est pertinent puisque ça lui aurait permis de ne pas être reconnu par les mousquetaires qui gardaient les prisons.

➜ De nombreux historiens préfèrent au personnage du masque de fer une personne plus modeste : Eustache Dauger (ou Danger) qui était témoin de secrets d’Etat entre Louis XIV et Charles II, roi d’Angleterre qui souhaitait devenir catholique et demandait l’appui de la France face à la Hollande. Mais qui était-il ? Un valet ? Certains auteurs (tel Marcel Pagnol) contestent cette théorie et s'étonnent du fait qu'on aurait préservé la vie d'un simple valet (détenteur de secrets d'État) pendant 34 ans alors qu'il aurait été plus facile de le faire purement et simplement disparaître. Jean-Christian Petitfils, auteur du Masque de fer, entre histoire et légende (2004) ; répond à cela que, contrairement à ce que les néophytes pensent, les meurtres sous l'Ancien Régime n'étaient employés qu'en cas d'extrême nécessité (par exemple, l'assassinat du duc de Guise en 1588). Aucun roi n'aurait fait assassiner un valet ; il est même probable que Louis XIV n'ait jamais appris l'existence de Danger.
Quoi qu'il en soit, le marquis de Louvois ne voulait absolument pas que Dauger soit en contact avec le marquis de Puyguilhem : « Vous devez vous abstenir de le mettre avec M. de Puyguilhem, ni avec qui que ce soit autre que M. Fouquet. ». Dès lors, si l'identification entre le Masque de fer et Dauger est désormais la plus généralement admise, les spéculations se sont portées sur l'identité véritable de Dauger et sur le secret qu'il détenait.